Alternative écosociétale : texte de Brieuc Le Fèvre
Une société en mutation silencieuse
Le monde va mal, menacé par des catastrophes en tous genres: écologiques, sanitaires (vache folle, sang contaminé, grippe aviaire, peste porcine), sociales, éducationnelle (crise des banlieues), etc...
Des alternatives se profilent à l'horizon, de la part de groupes isolés, qui généralement rejettent la gestion centralisée de nos société, cause à leur yeux de trop de maux, par manque d'efficacité sur le terrain et par manque d'adaptatbilité. Les systèmes nationaux centralisés, pris au piège des groupes de pression, dogmes, habitudes, ne PEUVENT PAS répondre avec justesse et précision aux besoins des citoyens. La machine est lourde, les rétro-actions inexistantes, la communication entre le haut et le bas de la pyramide hiérarchique pratiquement réduite au bruit médiatique et aux résultats des instituts de sondage.
Les groupes alternatifs proposent des solutions gérables par l'individu, pour lui-même et ses collatéraux. Les "grandes manifestations" d'ampleur nationale ou internationale (forum mondial, lutte contre la malbouffe ou les OGM) ne sont que la partie émergée de l'iceberg, celle qui attaque directement les régimes et solutions imposées "d'en haut", sans consultation ni égard pour le "bas".
Mais comme précisé, ces actions ne sont que la partie émergée de l'iceberg. La partie encore immergée, elle, est en train, doucement, de transformer une société verticale et hiérarchique en une société horizontale et égalitaire. Les groupes qui y sont "force de proposition" sont TOUS alignés sur la même éthique; il s'agit de rendre à l'humain le contrôle de son avenir, et surtout de lui remettre entre les mains ses responsabilités face à sa vie et ce qu'il veut en faire, et les conséquences de ses actes pour y parvenir.
Tous les domaines de la société sont touchés, sans exception. A ce jour, j'ai personnellement connaissance d'initiatives visant à replacer entre entre les mains des individus la maîtrise des événement dans les domaines suivants:
* Energie: toutes les associations et tous les individus qui oeuvrent pour le déploiement d'alternatives aux énergies centralisées polluantes. Selon les groupes et les options du territoire, citons l'éolien individuel, le solaire (direct et voltaïque), la bio-masse, les usages améliorés et/ou modérés de l'énergie, les véhicules non polluants de proximité.
* Agriculture: sans aller plus loin, car la liste est bien trop longue, citons les potagers individuels, les jardins collectifs, les AMAP (http://alliancepec.free.fr/Webamapexternal link). La mode du bio, de son côté, fait appel à un désir légitime de comprendre et contrôler un peu mieux ce qui gît dans son assiette, mais sa gestion de plus en plus orientée vers le profit par de grands groupes risque de faire du bio-industriel un "flop" d'ici quelques années. Resteront alors les "vraies" initiatives citoyennes, initiées localement, et maintenues dans des limites locales.
* Eau: la gestion de la ressource en eau est encore très souvent perçue comme inséparable de la centralisation à l'échelle de la ville, de la communauté de commune ou de la commune. En fait, il semble que dans les pays où la pluviométrie le permet, la gestion de l'eau au niveau individuel, maison par maison, soit une solution viable, à très faible impact environnemental. La récupération et le traitement par filtration des eaux de pluie, associée à des comportements adaptés en termes de traitements des déjections humaines (toilettes sèches à litière bio-maîtrisée), permettent déjà à des centaines de familles belges de vivre en autarcie du point de vue de l'eau, sans conséquence mesurable pour l'environnement (voir http://www.eautarcie.com).
* Education: les expériences d'éducation alternative, encadrées par les Etats dans des classes "expérimentales", ou bien auto-gérées par des communautés de parents, sont un phénomène de plus en plus visible dans tous les pays occidentaux. Toutes ces expériences vont là encore dans la même direction; il s'agit de replacer à la fois l'enfant et le parent face à leur responsabilité d'apprenti de la vie et d'enseignant de la vie. L'accent est systématiquement mis sur l'expérience, et l'éducation transmise vise à faire de l'enfant un citoyen averti et responsable. Les connaissances académiques issues de programmes centraux nationaux sont le plus souvent réduites aux disciplines de base nécessaires à l'apprentissage et à la compréhension (langue parlée et écrite, calcul, mathématiques).
* Logement: la pression commence à se faire sentir en France pour créer des coopératives de logement à la mode québequoise. Ces coopératives sont des moyens pour les co-propriétaires-locataires d'accéder en commun à la propriété, sans risque pour le long terme (l'occupation est de type locatif), et en co-gestion de tous les aspects du logement (entretien, coûts des loyers, acceptation de nouveaux occupants, etc). C'est une tentative pour les habitants de se réintégrer dans la gestion de leur environnement urbain immédiat, face à la dégradation des conditions de vie dans les quartiers; tags, violences, malpropreté sont tous issus du sentiment de déresponsabilisation des familles vis-à-vis de leur logement, géré "de l'extérieur" par des propriétaires rentiers ou administratifs (HLM).
* Santé: l'explosion des pratiques de médecines douces, la vogue du concept visant à maintenir la santé plutôt que de soigner la maladie, sont le reflet de la volonté de gens compétents et sérieux de faire de chaque humain un être à l'écoute de son corps. Cette écoute ne se limite pas à son corps en tant que tel, mais englobe l'Autre et le reste de l'environnement immédiat ou plus lointain. Des systèmes de mutualisation des frais de maintien de la santé sont même proposés, systèmes visant à assurer aux praticiens un revenu POUR promouvoir la santé, en lieu et place de la rétribution à l'acte CONTRE la maladie.
* Politique et social: des théories et des systèmes existent là aussi, qui prônent le retour de la responsabilité individuelle. Les notions de respect de l'autre, de tolérance, d'amour et de compassion sont centrales dans ces systèmes. Le concept de liberté individuelle, associé à celui de démocratie directe, doit dans ces propositions mener l'individu à savoir toujours choisir la solution la meilleure, qui est celle du jeu gagnant-gagnant pour lui et la société (voir par exemple http://amopie.free.fr/).
* Technologie: même si l'innovation technique se transmet souvent au public via les grandes entreprises industrielles, il n'en reste pas moins que la découverte fondamentale reste très majoritairement le fait de la recherche désintéressée, qui fonctionne sur fonds publics, et souvent en réseaux limités de collaboration. D'autre part, il est évident que l'innovation et même la découverte en matière de technologie informatique vient de plus en plus de groupes à structure égalitaire, au sein de la mouvance du "logiciel libre".
* Economie: les expériences SEL (Système d'Echange Local), et leurs prolongations à travers diverses théories, démontrent que la gestion de la monnaie et des échanges commerciaux sont possibles, et souvent souhaitables du point de vue de l'individu, en dehors des grandes structures mondialisées de la finance moderne. La monnaie locale, auto-gérée, est une des étapes à franchir avant de pouvoir développer à grande échelle la plupart des autres initiatives en dehors de toute influence ou limitation de la part de l'environnement hiérarchique en place.
L'ensemble de ces propositions alternatives au "tout centralisé" et à la "pensée unique" démontrent que les sociétés occidentales, dans leur ensemble, sont en train d'amorcer une mutation silencieuse vers une forme de société autre.
La question est de savoir quelle forme aura cette société future, et si il est possible d'anticiper la transformation, pour pouvoir l'accompagner et la renforcer là où elle faiblirait, tout comme on aide une mère à l'accouchement? Un tel pouvoir d'anticipation permettrait également de donner aux différentes forces alternative un "plan" d'ensemble de l'objectif à atteindre, ce qui accélererait la mutation en évitant les expériences douloureuses prévisibles.
Quelques considérations peuvent nous aider à trouver une réponse à ces questions. Tout d'abord, le désir de tous les initiateurs et développeurs de ces propositions est d'arriver à une société égalitaire dans la gestion du ou des domaines dont ils s'occupent. Cela nous amène à penser que la société finale sera globalement égalitaire, avec toutes les limitations que cela implique quant à sa dimension maximale (voir la théorie de Yona Friedman, en libre accès sur http://www.lyber-eclat.net/lyber/friedman/utopies.html).
Ensuite, si on fait la somme des responsabilités individuelles que chacun devrait assumer dans une telle société, on se rend compte que chaque personne y passerait son temps à mesurer, compter, écouter, estimer, peser un tas de paramètres, puis enfin décider au cas par cas, au jour le jour, de l'acte à entreprendre pour sa nourriture, son énergie primaire, son eau, le programme éducatif de ses enfants, etc, etc. Cette vie, selon moi, serait un enfer de stress et un gâchis de temps. Dans la mesure où le but de l'évolution proposée n'est jamais de revenir en arrière, vers une situation de moindre connaissance et d'actes empiriques sans compréhension des phénomènes mis en jeu, il semble évident que la société qui se profile fera appel soit à la spécialisation des tâches et à la solidarité de proximité, soit à l'usage d'aides technologiques spécifiques, soit à un mélange des deux, selon le cas. Par exemple, on peut imaginer que la gestion de l'eau et de l'énergie soit le fait, habitat par habitat, de robots et de puces informatiques "intelligentes", capables de tirer le meilleur parti des ressources disponibles maintenant et de celles estimées pour demain, en fonction des besoins exprimés et des besoins extrapolés. Les possibilités de la logique floue et des puces évolutives seront pleinement employées ici. D'un autre côté, le maintien de la santé et l'éducation seront sans doute des tâches dévolues à des personnes de haute compétence au sein de la société.
De toutes ces réflexions, il ressort que la société de demain sera sans doute constituée de "cellules" quasi autonomes du point de vue alimentaire et énergétique, disposant d'une culture propre, transmise par le système local d'éducation. Toutefois, ces cellules, bien que quasi indépendantes, auront un intérêt certain à chercher les échanges et la collaboration des cellules voisines pour assurer leur évolution technologique et pour faciliter certaines formes de gestion à long terme. La taille d'une cellule sera de l'ordre du quartier ou de la rue, pour certaines formes d'action (eau, énergie, éducation primaire, santé...), un peu plus grande pour d'autres (économie, appoint énergétique, alimentation...); les cellules devront se grouper en corps de taille continental pour certains besoins spécifiques (complément énergétique et/ou alimentaire, industrie lourde, voies de communication, ...). Chaque individu sera impliqué, à divers moment de sa vie, dans la gestion pour la cellule d'un ou plusieurs des aspects évoqués ici. Une forme possible de gestion sera l'assemblée générale des habitants de la cellule, d'où émaneront par mandat démocratique des comités de gestion à renouvellement partiel. Chacun sera appelé à participer à un ou plus comités, et à faire sa part dans la charge de travail de la communauté. Enfin, la tolérance et la liberté de circulation devraient entraîner un brassage perpétuel de population, à un taux de quelques individus par an et par cellule.
Toutes ces tâches seront faites en dehors du travail productif de biens manufacturés et de services, que chaque individu sera libre de se choisir selon les possibilité du lieu et du moment, et en fonction de ses goûts et aptitudes.
Une telle société signera la fin de la mondialisation uniforme que nous connaissons actuellement, pour créer à sa place une mondialisation multi-forme, au sein de laquelle chaque humain pourra être conscient de la "finitude" de notre planète. Ce sera la fin des grands empires industriels et financiers, pour lesquels vendre le même produit au monde entier est une fin en soit. Nous reviendrons à une industrie locale, soucieuse de produire localement les innovations utiles ici et maintenant.
Brieuc Le Fèvre, Montréal, 17 janvier 2007
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